Accompagner autrement les personnes : qu’est-ce que cela change ?
Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un partenariat stratégique européen autour de l’innovation, soutenu par la Commission Européenne, Erasmus +, il se déroule de décembre 2019 à Novembre 2021. L’objectif est d’encourager l’émancipation des personnes défavorisées, pour qu’elles puissent réaliser des parcours choisis et ainsi faciliter l’accès à un emploi durable et à un épanouissement social. Le domaine d’activité cible pour ce projet est la restauration. Il s’appuie sur un diagnostic partagé par les partenaires institutionnels, des représentants des employeurs et les partenaires européens, qui sont au nombre de sept en Belgique, Italie, Espagne, Turquie et en France.
Son objectif est de créer un « parcours pilote » favorisant l’émancipation[1] des publics exclus (plus que l’insertion), une inclusion sociale et professionnelle valorisante. Nous nous appuierons sur une méthodologie innovante qui allie, remobilisation, formation diplômante, montée en compétences transversales et comportementales, accompagnement individualisé, et qui s’inspire des outils de l’éducation populaire. L’accompagnement social et professionnel s’appuie encore bien trop souvent sur les manques supposés ou réels des personnes pour construire des accompagnements plutôt individuels. Cet accompagnement est vu comme un temps bien spécifique, conçu avec un avant et un après, comme si les parcours de vie étaient linéaires. Par ailleurs, les accompagnements et formations proposées dans le domaine de la restauration suivent un ordre bien précis, alternant temps théoriques et pratiques, conçus uniformément pour toutes et tous, laissant peu de place aux adaptations. L’enjeu est donc de s’appuyer non pas sur les défaillances des personnes, mais sur leurs ressources, leurs potentiels à analyser une situation et être co-autrices de leur parcours, en créant des accompagnements qui soutiennent et s’adaptent aux besoins et trajectoires des personnes.
La première étape de ce travail a été de réaliser un diagnostic de contexte des structures pour comprendre leur milieu d’intervention et les problématiques rencontrées afin d’affiner le parcours qui sera expérimenté[2].
La seconde étape a consisté en un atelier « parcours d’usagers » a permis d’analyser, avec les personnes concernées, les accompagnements tels qu’ils sont vécus aujourd’hui, afin de recueillir les éléments pour un parcours-type qui va être expérimenté pendant le projet.
Suite à ces éléments, nous avons construit un parcours d’accompagnement schématisé en annexe. Après six mois d’expérimentation auprès de 45 personnes, nous pouvons en tirer des éléments d’analyse qui vont nous permettre de l’améliorer. Nous présentons ci-dessous les principaux éléments.
Le retour sur l’expérimentation du parcours pilote
Tout d’abord, la création de ce « parcours pilote » a permis de mettre des mots, de formaliser le cadre « politique » du parcours : la finalité est l’émancipation des personnes. Cela change la manière de les considérer et de les accompagner que ce soit pour les personnes, pour les structures elles-mêmes mais également pour les restaurateurs. Les professionnels chargés des accompagnements ont apprécié d’avoir une vision claire et précise de l’ensemble des étapes : cela fluidifie et clarifie le parcours.
A ce jour, 45 personnes issues des structures Croc Espace (Belgique), Futura Gestiona (Ile Canaries) et au Comptoir des Colibris (France) ont bénéficié de cet accompagnement. Le parcours s’est mis en place de manière différencié selon les structures, en raison du contexte sanitaire, mais aussi de la structuration du secteur (nécessité de mettre en place tel ou tel type de convention par exemple).
Ce contexte a eu des effets positifs, par exemple l’impossibilité de réunir des nombres importants de stagiaires, d’étudiants a permis d’augmenter les temps pour la relation d’accompagnement individuel. Par ailleurs cela a permis de créer un dynamisme de plus petits groupes favorisant davantage de liens entre les personnes que si elles avaient été dans un groupe plus important.
Des éléments n’ont pas pu se mettre en place en raison du contexte sanitaire, la journée découverte des métiers (et donc de lien avec les restaurateurs), la réalisation de la cartographie collective. Certaines structures ont mis en place des alternatives, comme 1 ou 2 journées de stage en amont par le Comptoir des Colibri. Ces temps sont importants car ils permettent d’une part de reconnaître la connaissance des personnes de ce secteur, et de la compléter, à partir de ce qu’ils savent déjà. Cela permet également de créer les conditions du choix : en ayant eux-mêmes fait l’analyse du secteur, de ses caractéristiques, ils peuvent trouver ou construire leur place.
Quelles sont les spécificités de ce parcours ? Les premiers enseignements.
– Le parcours proposé considère déjà que le parcours et l’accompagnement ne commence pas seulement à l’entrée des personnes dans la formation ou le restaurant d’insertion, mais bien en amont, dès le premier contact avec la structure,
– Ce parcours pilote postule que le collectif, crée de manière formelle ou vécu de manière informelle, est essentiel dans le parcours d’émancipation. Il permet de se confronter à d’autres réalités, de se sentir moins seul face à certaines situations, de s’entraider… Le parcours s’appuyait donc sur l’organisation de groupes de stagiaires, vus comme un potentiel soutien face aux difficultés de la formation, des activités étant prévues en ce sens. Pour les structures qui accueillent au fil de l’eau des stagiaires, il n’y a pas de groupes en tant que tels, mais des binômes se sont constitués, reliant des anciens et des nouveaux, permettant à la fois de développer un sentiment de sécurité, de rassurer les nouveaux, mais également permettant le renforcement et la valorisation des plus anciens. Par ailleurs, faute de lieux d’échanges informels (en raison notamment de la crise sanitaire), des outils de communication dans le groupe (whatsapp…), de l’entraide entre personnes (co-voit…) se sont développées. Ces pratiques sont indispensables pour échanger, se rassurer, prendre confiance.
– Le parcours postule également que les personnes ont des savoirs, des expériences et qu’il est important de s’appuyer dessus pour leur permettre de progresser, de développer d’autres compétences. Des temps d’analyse réflexive (par exemple à Croc Espace lors des conseils coopératifs), en groupe, accompagnés d’un tiers (coaching, accompagnateur), favorise la prise de recul sur le parcours engagé et permet de s’adapter et réajuster plus rapidement les orientations, les formations complémentaires à prévoir. Ce parcours, tout en étant très structuré, permet une grande souplesse et s’adapte à de nombreuses situations, ainsi, des formations, au pied levé ont été proposé à des stagiaires pour renforcer tel ou tel aspect (c’est le cas par exemple à Futura Gestiona).
– La convention mise en place entre les personnes et la structure rend visible et lisible le projet d’accompagnement : cela favorise le sentiment d’appartenance et dynamise leur engagement dans le parcours, ingrédient indispensable pour la consolidation du parcours.
Pour terminer, et même si ces éléments doivent être confirmés par des entretiens qualitatifs (qui seront réalisés dans la dernière partie du travail), les professionnels observent que les personnes accompagnées, qui étaient dans des « boucles de précarité »[3], consolident une situation et semblent sortir de cette boucle. A suivre donc…
Prochaines étapes : évolution du parcours pilote selon les premiers enseignements, ateliers d’analyse du parcours avec les personnes formés, consolidation des outils développés pour accompagner le parcours.
[1] L’émancipation étant vue comme la possibilité de sortir de la place qui a été assignée par la société.
[2] Un rapport d’analyse a mis en avant les principaux éléments à retenir pour construire ce parcours.
[3] Enchaînement d’étapes qui passent par des formations, stages, emploi, perte d’emploi, formations, etc.