L’engagement en promotion de la santé, quel sens pour la recherche ?

Intervention dans le cadre des Assises Nationales de la FNES – 8 septembre 2022

La promotion de la santé : au croisement de l’engagement, de l’innovation t de l’expertise

Le point de départ du Léris

Les premiers travaux consistaient en études et recherches pour divers acteurs (collectivités, état, associations), mais souvent nous nous rendions compte que ces travaux n’étaient pas suivis des changements pour lesquels nous faisions des préconisations car dégager des marges de manœuvre est souvent difficile pour les professionnels.

Nous avons progressivement mené des recherches-actions, qui constituent une possibilité d’accompagner le changement et la transformation sociale, avec comme grille de lecture des travaux que nous menions sur la question de l’émancipation.

Ce changement montre aussi une volonté de réhabiliter la fonction critique des sciences sociales notamment.

  1. Quels enjeux ?

Un des premiers enjeux, est de reconnaître cette dimension critique de la recherche (cf Boltanski), qui constitue une rupture épistémologique. Accepter d’avoir un impact sur la structure sociale, sur les déterminismes, et non seulement sur l’adaptation des populations. Cette démarche, qui prend corps dans les recherches-actions (ou recherche intervention, recherches participatives, etc.) est loin d’être majoritaire en France et est confronté aux résistances et manque de reconnaissance de la part de la recherche académique. Il s’agit donc, en tant que chercheur, de ne pas être en retrait ou observation, mais d’accepter le rôle « politique », d’avoir un impact sur la structure sociale et sur la transformation sociale.

Quelques points de vigilance sont à considérer sur l’engagement dans la recherche, qui suppose une certaine liberté d’action pour se déployer :

A. Faire attention au triple écueil présenté par Arianne Robichaud[1]:

– les possibilités d’instrumentalisation des participants, ces travaux pouvant constituer lieux de terrains pour les chercheurs qui parfois en manquent, sans qu’il n’y ait de retours,

– la reconduction des rapports de pouvoir entre chercheurs et acteurs,

– la récupération idéologique des résultats au sein de ce type de recherche des différents acteurs en présence.

B. Les recherches sont soumises à des contraintes : temporelles (souvent en décalage avec les réalités de vie des acteurs de terrain), financières, organisationnelles et institutionnelles.

A cause de ces contraintes, plusieurs recherches-actions montrent la difficile création « d’espace de liberté », c’est-à-dire Libre d’enjeux entre les acteurs, libre de rapports de pouvoir, un lieu égalitaire, avec les conditions pour une réelle coopération réunis, une co-construction des savoirs, un espace bienveillant, la possibilité d’expérimentation de nouvelles modalités d’intervention.

Erasmus+ partenariat stratégique, peut constituer un espace de liberté pour faire vivre l’engagement dans la recherche. En effet, par ces projets, les enjeux de « concurrence » entre différentes structures sont limités au sein d’un pays, sortir des « déterminismes » d’un même pays, se libérer de ce qui nous définit pour prendre un pas de côté, s’enrichir de différents point de vu pour mieux comprendre les réalités, sortir de sa zone de confort pour travailler sa posture, etc.

  1. Les formes :

Le rapport à la science et au savoir a également évolué, de nombreuses ressources sont plus accessibles, différentes expertises sont reconnues (d’usage, pratique et scientifique). Cette reconnaissance n’existe pas partout, mais nécessite un travail différent, qui peut prendre corps dans des recherches-action. Certains espaces, comme le tiers secteur de la recherche ou certaines Maison des Sciences de l’Homme qui construisent des ponts entre société civile et milieu académique (par exemple Trait d’Union à Montpellier) peuvent aider en ce sens.

Cela interroge la place du chercheur quant à son engagement : d’acteur critique qui met à disposition ses savoirs, à celle de facilitateur. Cette dernière peut conduire le chercheur à se mettre en retrait au profil de l’émergence et de la construction des savoirs des groupes qu’il accompagne. Cette réflexion autour du positionnement du chercheur peut se voir aussi à propos de question de vocabulaire : comment l’accessibilité des concepts ne fait pas perdre en qualité, et comment permet-on d’accéder à la complexité sans perdre le groupe ? Ce rôle de chercheur, comme tiers non impliqué, est intéressant car il permet souvent de décentrer les enjeux qui existent parfois entre acteurs associatifs et pouvoirs publics par exemple, notamment sur les questions financières.

Cet engagement dans la recherche peut intervenir également sur les plaidoyers, mais pas en tant que partie prenante évidemment. Plutôt sur le soutien à l’élaboration, que ce soit par un outillage scientifique des sujets, ou par des méthodologies[2].

  1. Quels impacts de l’engagement sur les finalités de la recherche ?

Une des finalités de ces recherches est donc la transformation sociale et d’avoir un impact sur la société, pour cela la finalité de la recherche est de soutenir le développement des compétences des citoyens notamment, par exemple en leur transmettant une culture de recherche, c’est-à-dire en faisant vivre le processus de la recherche pour qu’ils développent une réflexion outillée, critique et distanciée sur le monde qui les entoure[3].

Nous ne sommes pas ici dans une approche cumulative des connaissances (en référence à Paolo Freire qui critiquait une approche bancaire de l’éducation), mais dans une approche émancipatrice, c’est-à-dire des connaissances en vue du développement de la puissance d’agir.

Ce travail de compétences ne produit pas forcément de transformation immédiate (quoique nous avons pu observer des applications concrètes et directes de processus de recherche action menés sur les territoires, que ce soit par les recherches actions sur les tiers lieux de la solidarité alimentaire ou dans des recherches actions menées avec des jeunes), mais l’émancipation ne se produit pas en un jour. Une autre finalité est de construire les « espaces de liberté », une des conditions pour que la transformation, individuelle est collective puisse se mettre en place.

 

[1]Arianne Robichaud et Marina Schwimmer, « Les impasses critiques de la recherche participative : leçons tirées de débats épistémologiques en sociologie critique », Questions Vives [En ligne], N° 33 | 2020, mis en ligne le , consulté le 09 septembre 2022. URL : http://journals.openedition.org/questionsvives/4713 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsvives.4713

[2]Voir à ce propos le projet européen CETAL.

[3]Le projet CAPEJ en est une illustration : https://www.youtube.com/watch?v=OsAOkigHI4M